Mis à jour le 3 septembre 2023 par JulieB
Adam Grydehøj est un chercheur indépendant d’origine américaine, basé au Danemark depuis une dizaine d’année. Il a fondé l’organisation « Island Dynamics » en 2009 afin de promouvoir l’étude des îles. Island Dynamics est à la fois un centre de recherche et une plateforme de conférences internationales autour des communautés insulaires. Son but est également de créer un dialogue entre l’académique, le gouvernemental, les communautés locales et les ONGs. Il enseigne régulièrement à l’université de Nuuk.
Calés autour d’une table en formica d’un troquet de l’île d’Amager (où il vit), Adam a répondu à une série de questions portant sur son expertise du Groenland:
Scandinavia Dreaming: Pourquoi as-tu fondé Island Dynamics?
Adam Grydehøj: Lorsque je terminais mon doctorat pour l’Université d’Aberdeen, j’y entrevu la dimension et les challenges de la vie insulaire, en petite communauté. J’ai fini par découvrir que la vie insulaire était un champ de recherche à proprement parler. Attiré par les îles, j’ai été amené à vivre sur plusieurs îles, comme Orkney, Svalbard, Ærø (au sud du Danemark). Les îles forgent le caractère des gens qui les habitent. J’avais besoin de vivre au sein de ces communautés, afin d’entrevoir ce qui les rend si spéciales. Au final, me dédier complètement à leur étude est devenu une évidence.
Scandinavia Dreaming: Peux-tu m’en dire un peu plus sur le sujet de la dernière conférence que tu as organisé au Groenland?
Adam Grydehøj: Le thème se portait sur Indigenous resources, decolonization and development. Nous avons notamment abordé les différents exemples de territoires en cours de décolonisation, sans pour autant se limiter aux îles. Quand le processus massif de décolonisation a débuté au lendemain de la seconde guerre mondiale, ce sont les plus grands territoires qui ont obtenu leur indépendance en premier, puis les petits ont suivi. Le phénomène a perdu de son intensité au fil des décennies pour quasiment s’arrêter dans les années 80. Par exemple, depuis 1984, seulement deux territoires insulaires ont « pris le large ». Cela s’explique par plusieurs exemples de décolonisations ratées, qui ont quelques peu calmé les hardeurs indépendantistes. Cependant, dans le cas des îles, la pression de la communauté internationale est grande, car le simple fait d’être une île –et donc d’avoir des frontières bien définies, amène à penser que ces territoires méritent leur indépendance: c’est le cas du Groenland. À l’inverse, la question des Samis dont le territoire est à cheval sur plusieurs pays devient plus complexe, et fédère moins la communauté internationale.
Scandinavia Dreaming: Depuis combien de temps le processus de décolonisation a-t-il commencé au Groenland?
Adam Grydehøej: C’est un processus en cours, car on ne cesse pas d’être une « colonie » du jour au lendemain. Dans le cas du Groenland et du Danemark, la relation entre les deux peuples a beaucoup changé. Officiellement, le terme de colonie n’a plus été employé depuis 1953, et le Groenland faisait partie de la carte des municipalités du Danemark, comme n’importe qu’elle partie du Jutland ou de Fionie. En 1975, suite à un référendum, le Groenland obtient sa place au Parlement (deux sièges). En 1984, le Danemark a signé un traité modificatif (avec Tom Høyem comme Premier ministre) avec la Communauté européenne pour préciser la situation du Groenland. Ce territoire a été retiré des accords sur le charbon et l’acier (CECA) et des accords sur l’énergie atomique (Euratom). Des dispositions particulières ont été convenues pour protéger la pêche. Le Danemark n’a jamais vraiment cherché à tirer profit des ressources du Groenland, mis à part les accords sur le commerce des fourrures de phoque. Du coup les Danois se voient comme des « gentils colonisateurs », ayant de bonnes relations avec leur protégé.
Scandinavia Dreaming: Qu’en est-il des missions de sondages de pétroles et de minerais mandatés par le gouvernement danois?
Adam Grydehøj: Le Groenland n’a pas le contrôle total de ses ressources. Dans les années 2000, le sentiment de faire partie du peuple danois, différent mais d’égale valeur, s’est accompagné d’un désir accru du Danemark de sonder les ressources minières et pétrolières du Groenland. Le 25 novembre 2008, les habitants du Groenland se sont prononcés par référendum consultatif sur la perspective d’une autonomie renforcée, la proposition étant approuvée par 75% des suffrages exprimés. Le parlement danois a ensuite voté la loi sur l’autonomie du Groenland, promulguée le 19 mai 2009 et entrée en application le 21 juin 2009. Le Danemark cède à son ancienne colonie 32 domaines de compétences, dont ceux de la police et de la justice. La monnaie, la défense et la politique étrangère relative à ces aspects restent toutefois sous le contrôle danois. L’idée était que cette prise de pouvoir progressive serait financée par les ressources naturelle du pays. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment d’espoirs de trouver du pétrole, et si je ne m’abuse, il n’y a plus qu’une seule mine active. La question de l’uranium a pointé son nez…mais a vite été abandonnée. Bref, ça n’a pas vraiment fonctionné.
Scandinavia Dreaming: Penses-tu que le Groenland peut s’en sortir économiquement une fois indépendant?
Adam Grydehøj: Bien sûr! Une situation d’indépendance entraînerait l’arrêt du soutien financier du Danemark envers le Groenland (27% du PIB du Groenland). Dans la plupart des cas de décolonisation, cela se traduit plus souvent en prise d’autonomie à défaut de pouvoir vraiment s’affranchir du pays « dominateur ». Au Groenland, le parti politique en place est en faveur pour l’indépendance, et l’opinion générale également. Il n’y a vraiment de débat public sur ce sujet, la question est plutôt de savoir COMMENT y accéder. C’est à la fois unique et fascinant! Soit dit en passant, c’est également le cas pour les îles Féroé.
Scandinavia Dreaming: Est-ce que le Danemark pousse le Groenland vers la sortie?
Adam Grydehøj: Pas vraiment. Le Groenland est important dans l’esprit des Danois. Comme je l’ai mentionné, les Danois ont le sentiment d’être de « bons colonisateurs ». Bien sûr, le Danemark veut s’assurer de procurer aux Groenlandais tous les moyens nécessaires à leur prise d’indépendance. Mais au fond, le Danemark préférerait que le Groenland ne saisissent pas cette opportunité. Ce serait vu comme un signe d’ingratitude de la part des Groenlandais, et un échec côté danois. Mais en même temps, ce paternalisme danois doit être terriblement irritant! Je ne pense pas que ce soit nécessaire d’en arriver là: le Danemark et le Groenland devrait envisager d’autres solutions en termes de politique et de ressources. Plusieurs territoires sont parvenus à affirmer leur culture sans passer par la case indépendance. Cependant, les Groenlandais s’accrochent à ce point précis. Ils cherchent surtout à s’affranchir de l’aide économique qui pour eux est culturellement inacceptable et perçue comme de la charité.
Scandinavia Dreaming: Est-ce que le tourisme pourrait être une voie vers l’indépendance économique?
Adam Grydehøj: Oui et non: le tourisme se développe peu à peu vers du « tourisme de niche », car les prix sont et resteront élevés. Ce qui limitera l’afflux…même si la destination est plébiscitée dans plusieurs célèbres magazines de voyage. En ce sens, on ne peut pas vraiment dire que l’économie puisse se baser dessus. En revanche, un grand atout du tourisme au Groenland serait le développement des services locaux (restaurants, etc.), dont bénéficieraient aussi les Groenlandais.
Scandinavia Dreaming: Comment le tourisme est-il perçu par les locaux?
Adam Grydehøj: Pas très bien 😀 Le tourisme est souvent associé à ces resort-hotels où les touristes sont parqués, sans aucun contact avec la population locale. Ils détestent ça! D’un autre côté, ils n’apprécieraient pas non-plus de voir leur pub favori envahis par des touristes-culturels, observant leurs moindres faits et gestes. Je pense que ce serait vraiment un point positif que le Groenland s’ouvre, et que le monde vienne au Groenlandais. L’isolement préserve leur culture, mais en même temps, personne ne veut revenir au temps des peaux de phoques et du nomadisme. Les conditions de vie étaient extrêmement difficiles et ils ne faisaient pas de vieux os!
Scandinavia Dreaming: As-tu une anecdote ou un souvenir particulier de tes nombreux voyages sur place?
Adam Grydehøj: La nourriture traditionnelle est assurément très intéressante 😀 Pour des raisons évidentes, elle est plutôt limitée…Si l’on demande à un Groenlandais quel serait le plat le plus typique, il répondrait du « matak », qui est de la peau de baleine crue. C’est extrêmement mou. Selon le type de baleine, cela ressemble à de la pastèque, mais alors le goût est complètement différent! Bien sûr le phoque est la base de l’alimentation…personnellement, je ne suis pas fan, mais on n’y échappe pas.
Un de mes plus beaux souvenirs est d’apercevoir un joli mini-iceberg au bord de l’eau, sur le chemin entre mon logement et l’université de Nuuk.
Propos recueillis et traduits de l’anglais au français par Julie B // Photos: Adam Grydehøj
Que pensez vous du tourisme au Groenland? Seriez-vous tentés?
C’était intéressant, cette petite conversation: merci!
Je n’avais jamais pensé au Groenland comme destination touristique; il faudrait que je me renseigne sur les choses à voir et faire: tu en sais plus?
Merci Eve 🙂 Le tourisme se développe de plus en plus au Groenland. Parfait pour les amateurs de sport d’hiver et de trek. Pour éviter tout accident et autres rencontres avec des ours blancs, c’est sûrement préférable d’avoir un guide. Il y a un bureau de tourisme à Copenhague: peut-être aussi en France? Un site web: http://www.greenland.com/en/